En un mois et demi de grève, 67 spectacles ont été annulés, dont trois représentations du "Barbier de Séville" ces derniers jours. Un nouveau préavis compromet celle de lundi.

A l'Opéra de Paris, seule institution culturelle avec la Comédie-Française à bénéficier d'un régime spécial, danseurs de ballet, musiciens, choeur et machinistes restent mobilisés.

Ce samedi, 200 personnes de tous les corps de métiers de l'Opéra mais aussi de la "Maison de Molière" organisent un concert devant le Palais Garnier. En décembre, les images d'un "mini" Lac des Cygnes sur le parvis avaient fait le tour du monde.

Les plus de 14 millions d'euros perdus en billetterie sont l'équivalent de la contribution annuelle de l'Etat à la Caisse de retraite de l'Opéra. Et à peine moins que les 18 millions versés annuellement par les mécènes de l'institution tricentenaire.

Le directeur général Stéphane Lissner a rassemblé vendredi l'ensemble du personnel pour évoquer les conséquences économiques qui l'ont obligé à "demander des économies drastiques à l'ensemble de ses services", selon l'Opéra.

- Sacrifices et blessures - 

M. Lissner, qui va être remplacé en 2021 par Alexander Neef, a dit comprendre les craintes des grévistes. Il a proposé aux syndicats un "calendrier de travail" pour trouver des solutions tenant en compte les spécificités des métiers de l'Opéra.

Pour les danseurs, la réforme ne s'appliquera que sur ceux embauchés à partir de 2022. A la retraite à 42 ans, ils arguent que la pension leur est nécessaire pour rebondir après une carrière émaillée de sacrifices et de blessures dans l'une des plus prestigieuses compagnies au monde.

Musiciens, machinistes et chanteurs évoquent également la pénibilité de leur travail.

"Nous voulons avancer (...) en tenant compte de ces spécificités", affirme à l'AFP le ministre de la Culture Franck Riester. "L'excellence de l'Opéra de Paris est un élément qu'il faut absolument garantir".

S'il entend "continuer les échanges pour accompagner les danseurs notamment vers une reconversion", il affirme qu'il est "maintenant important d'arrêter la grève en raison des répercussions financières". "Et il y a surtout le public, il faut qu'on ne le perde pas!", dit-il.

Pour Alexandre Carniato, danseur élu à la Caisse des retraites de l'Opéra, "la formation à la reconversion, c'est une bonne chose". 

"Mais même avec un diplôme, qu'est-ce qui m'assure qu'une entreprise me choisira, à 42 ans, plutôt que quelqu'un qui a 22 ans?", indique à l'AFP ce danseur qui sera à la retraite dans six mois avec une pension d'un peu plus de 1.000 euros.

- "Moment brutal" -

Si des danseurs bénéficient aussi de pensions dans certains pays (Suède, Italie), les 154 de l'Opéra de Paris sont un cas unique en France.

Le chorégraphe Thierry Malandain, directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz, attire ainsi l'attention sur "le sort des autres artistes chorégraphiques de l'Hexagone".

Avec une troupe de 22 danseurs pour plus de 90 représentations par saison, "la masse de travail, la fatigue, les blessures sont plus qu'équivalentes", a-t-il rappelé sur Facebook. "Comme les danseurs permanents de Bordeaux, Toulouse, Mulhouse, Lyon (...), ils tireront leur révérence bien avant la quarantaine pour faire face au défi de la reconversion sans aides spécifiques".

A Toulouse, les danseurs du Capitole sont soumis au régime normal, mais "ils touchent une compensation et comme on est un théâtre municipal, il y a parfois des embauches par la Ville", explique à l'AFP son directeur Christophe Ghristi.

Leurs horaires peuvent être aménagés pour se former, leur diplôme d'Etat financé, et ils peuvent se reconvertir en interne: "Toute notre régie est constituée d'anciens danseurs".

"S'arrêter de danser est un moment très brutal, le danseur est condamné à avoir une seconde vie", confirme à l'AFP Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte-Carlo, où un système instauré en 2001 a aidé à reconvertir 200 à 300 danseurs: maintien du salaire pendant 12 à 18 mois, emploi du temps allégé et études financées.