Airbus a annoncé, mardi 30 juin, la suppression d'environ 15 000 postes, soit 11% de ses effectifs, dont le tiers en France. L'avionneur n'exclut pas des licenciements secs, pour faire face à la "crise sans précédent" subie par le secteur du transport aérien, terrassé par le Covid-19. 

135.000 salariés, dont 49.000 en France 

Environ 5.100 postes seront supprimés en Allemagne, 5.000 en France, 1.700 au Royaume-Uni, 900 en Espagne et 1.300 sur les autres sites du groupe dans le monde, a précisé l'avionneur européen. Le groupe aux 135.000 salariés comptait fin 2019 49.000 collaborateurs en France, 45.500 en Allemagne, 12.500 en Espagne et 11.000 au Royaume-Uni. 

"Nous devons faire face à la réalité que 40% de notre activité dans le secteur des avions commerciaux a disparu et qu'il faudra très probablement beaucoup de temps pour remonter, nous devons donc prendre des mesures décisives maintenant", a expliqué le président exécutif d'Airbus, Guillaume Faury, lors d'une conférence téléphonique.

Plus de 3.500 suppressions de postes déjà annoncées en début d'année

Les suppressions de postes touchent exclusivement la branche aviation commerciale du groupe - également présent dans la défense, l'espace et les hélicoptères - ainsi que la filiale française Stelia Aerospace et l'Allemande Premium Aerotec.

Ces 15.000 postes supprimés s'ajoutent aux 900 emplois que devait déjà éliminer Premium Aerotec, en raison "d'un besoin d'adaptation identifié avant la crise Covid-19", et aux 2.665 suppressions de postes annoncées en début d'année dans la branche Defense and Space, confrontée à un marché difficile.

Départs volontaires, retraite anticipée... ou licenciements 

Si l'avionneur n'exclut pas des licenciements, il compte sur les départs volontaires, des mesures de retraite anticipée et sur les dispositifs de chômage partiel pour les limiter. 

Pour la France, le plan sera détaillé lors d'un comité de groupe Airbus France jeudi matin à Blagnac, siège de l'avionneur dans la banlieue de Toulouse. Selon la CFE-CGE, 3.488 suppressions de postes sont prévues dans la branche avions et 1.464 chez Stelia Aerospace.

Si la nécessité du plan de restructuration annoncé par Airbus est admise, gouvernement et syndicats dénoncent son ampleur et la perspective de départs contraints, mettant en avant les mesures de soutien dont bénéficie l'avionneur pour "sauver" un maximum d'emplois.

Un plan "excessif", selon Bercy

"Excessif", a taclé le ministère de l'Économie et des Finances. "Le secteur de l'aéronautique fait face à un choc massif, brutal et durable. Il est fort probable que la reprise sera progressive. Nous ne l'avons jamais caché", a réagi Bercy, rappelant le plan de 15 milliards d'euros adopté par la France en soutien au secteur aéronautique. "Néanmoins, le chiffre de suppressions d'emplois annoncé par Airbus est excessif", dénonce le ministère, qui demande de "réduire au maximum les départs contraints".

"Airbus recourt trop vite à la solution radicale d'un plan social massif", déplore aussi le syndicat CFE-CGC qui rappelle que "les aides publiques ne sont pas là pour financer des licenciements".

Derrière Airbus, ce sont des milliers de fournisseurs, pour la plupart de petites et moyennes entreprises, qui sont touchés. L'équipementier Daher a ainsi déjà annoncé la suppression d'un maximum de 1.300 postes, sur les 10.000 du groupe.

Airbus peut "sauver" 2.000 postes 

Le secrétaire d'État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, qui "a fait les calculs cette nuit", a assuré mercredi  que l'avionneur était en mesure de "sauver" 2 000 emplois en France grâce au dispositif de chômage partiel, que le parlement est en passe de voter, et aux mesures de soutien à la recherche-développement en faveur d'une "nouvelle génération d'avions verts".

En fonction de ses modalités, le dispositif d'activité partielle de longue durée (APLD) pourrait permettre de préserver "jusqu'à 1.000 emplois" en France, a confirmé Guillaume Faury à l'AFP. "On a une idée assez spécifique, elle est connue du gouvernement, on compte dessus", a-t-il assuré.

Le secteur frappé dans le monde entier 

Par ailleurs, près de 500 emplois supplémentaires pourraient également être préservés en France, selon Airbus, grâce au 1,5 milliard d'euros de soutien à l'innovation, un des volets du plan de 15 milliards d'euros adopté par Paris en soutien au secteur aéronautique.

Avec la crise provoquée par le coronavirus, les secteurs aéronautique et du transport aérien ont engagé de profondes restructurations dans le monde entier. Le président d'Airbus souligne que le groupe et toute la filière de ses sous-traitants, sont en "mode survie" face à une "crise d'une gravité incroyable". 

Une catastrophe pour la sous-traitance 

Le poids des sous-traitants est considérable dans l'aéronautique. Un appareil de l'avionneur européen, expliquait récemment le président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Occitanie, Alain Di Crescenzo, c'est 20 % fabriqué par Airbus et 80 % par les sous-traitants. Dans la région, Airbus commande chaque année pour 5 milliards d'euros à ses sous-traitants.

De gros sous-traitants comme Safran, Derichebourg ou Daher envisagent eux aussi des centaines de suppressions de postes, selon les syndicats.

Plus de 7.500 postes supprimés chez Air France 

Mardi, on apprenait aussi que le groupe Air France compte supprimer plus de 7.500 postes d'ici fin 2022, dont 6.560 au sein de la compagnie tricolore et plus de 1.000 au sein de la compagnie régionale Hop!, selon des sources syndicales. 

La direction doit présenter vendredi aux organisations syndicales les conséquences sur l'emploi de son "plan de reconstruction", qui prévoit une coupe franche dans les liaisons intérieures. 

Des départs contraints pas exclus 

Au sein de la compagnie historique, les 6.560 postes supprimés (sur un peu plus de 41.000 CDI équivalents temps plein) le seront pour partie (3.500) via des départs naturels non remplacés et pour partie via des départs volontaires, même si des départs contraints ne sont pas exclus pour le personnel du réseau court-courrier, selon plusieurs sources syndicales et un document consulté par l'AFP. 

"La baisse durable d'activité et le contexte économique liés à la crise du Covid-19 imposent d'accélérer la transformation d'Air France", a indiqué la direction à l'AFP, assurant vouloir privilégier "le volontariat et les mobilités".

L'État a prêté 7 milliards d'euros à Air France 

L'État, actionnaire d'Air France-KLM, a apporté un soutien financier de 7 milliards d'euros au groupe franco-néerlandais, dont 4 milliards de prêts bancaires garantis et 3 milliards de prêt direct, en lui demandant d'améliorer sa rentabilité et son impact environnemental. En réponse, le directeur général d'Air France-KLM, Benjamin Smith, a annoncé fin mai la réduction du réseau français, déficitaire, de 40% d'ici à la fin 2021. 

L'opposition est montée au créneau mercredi pour dénoncer les suppressions de postes chez Airbus et Air France, certains demandant au gouvernement de les empêcher. 

Interdire les licenciements ?

Interdire les licenciements chez Airbus, "ça n'est pas du tout irréaliste, c'est vos impôts qui financent des licenciements, vous trouvez ça logique ?", s'est indigné le secrétaire national d'EELV Julien Bayou sur France Inter. Selon lui, "l'enjeu, c'est pas de sauver les actionnaires mais de sauver les emplois, et un État stratège, c'est celui qui prépare ces filières à la transition écologique". 

"On profite de la situation très ponctuelle pour 'dégraisser' et j'espère que l'État aura plus que son mot à dire pour dire 'non'. Un plan social d'une telle importance c'est une saignée énorme, c'est scandaleux", a déploré sur Public Sénat le chef de file des sénateurs socialistes Patrick Kanner.

LFI dénonce l'inaction du gouvernement 

"Je crois que c'est excessif, disproportionné et quelque peu précipité", a réagi à propos d'Airbus le patron des députés LR Damien Abad sur Cnews, en insistant sur la nécessité de ne pas "crisper le dialogue social". 

"5.000 suppressions de postes chez Airbus mais le ministre des Transports ne lèvera pas le petit doigt. Pour LREM, la capacité de régulation de l'État se limite à des "appels" non contraignants : chers grands patrons, soyez sympas, ne licenciez pas trop. On voit le résultat...", a ironisé sur Twitter l'eurodéputée LFI Manon Aubry.

La crise "ne doit pas servir de prétexte à certains grands groupes" 

Le vice-président du RN Jordan Bardella a estimé, sur Europe 1, que "c'est un acte de faiblesse du gouvernement qui aurait dû faire beaucoup plus et exiger que l'emploi soit maintenu en contrepartie (des) aides publiques importantes". La crise sanitaire et économique "ne doit pas servir de prétexte à certains grands groupes pour tailler dans leurs effectifs et appliquer des plans prévus de longue date en profitant de l'effet d'aubaine", estime aussi le dirigeant d'extrême droite.

"Intolérable, inadmissible d'avoir une cascade de plans sociaux qui tombent chaque jour alors que le gouvernement met 460 milliards d'euros d'engagement public", a dénoncé sur Twitter le patron du PCF Fabien Roussel.