"J'attends dans l'espoir que l'un de mes proches soit retrouvé", dit Youssef Matar, 25 ans, assis sur un rocher.

Il pense que dix membres de sa famille sont détenus dans cette immense prison en forme de T.

"Tous ont été arrêtés par la sécurité" syrienne "sans raison, juste parce que nous sommes de la ville de Daraya", dans les environs de Damas, l'une des premières localités à s'être soulevées contre le président Bachar al-Assad en 2011, explique-t-il.

"Je suis ici depuis hier (dimanche)", ajoute le jeune homme. "Je vais rester jusqu'à savoir s'ils sont morts ou vivants".

Des milliers sont rassemblés aux alentours de la prison et la file de voitures s'allonge sur plus de sept kilomètres. Certains ont marché des heures pour arriver à la colline sur laquelle est bâti le tristement célèbre édifice, escaladant les barricades de sable qui l'entourent.

Lundi soir, dans le vent froid qui se lève, des familles ont allumé des feux de camp et se sont assises en cercle devant la prison pour se réchauffer.

Depuis le début du soulèvement en 2011, qui a dégénéré en guerre civile, plus de 100.000 personnes ont péri dans les prisons syriennes, notamment sous la torture, estimait en 2022 l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

A la même époque, l'OSDH rapportait qu'environ 30.000 personnes avaient été détenues à Saydnaya, où les détenus étaient soumis aux pires tortures, dont seulement 6.000 avaient été relâchées.

"La peur est finie" 

Dès qu'ils sont entrés à Damas dimanche, les rebelles syriens ont annoncé avoir pris le contrôle de la prison et libéré les détenus de cet établissement pénitentiaire, symbole des pires exactions des forces de Bachar al-Assad.

Des images sur les réseaux sociaux ont montré des dizaines d'hommes, visages émaciés, certains portés par des camarades car trop faibles pour avancer seuls, sortir de la prison.

Mais les familles restent convaincues qu'un grand nombre se trouvent encore dans des cachots souterrains. 

Certains fouillent parmi les documents éparpillés sur le sol à la recherche d'un nom. Des centaines tentent d'entrer dans la prison par ses portes étroites.

"Je cherche mon frère, disparu depuis 2013. Nous l'avons cherché partout, on pense qu'il est ici, à Saydnaya", lâche Oum Walid, 52 ans, qui refuse de donner son nom de famille.

"Puisque Bachar est parti, je suis optimiste. La peur est finie", ajoute-t-elle.

Les Casques blancs, une organisation de secouristes, ont indiqué chercher des "cellules souterraines cachées", alimentant l'espoir des familles.

"Nous sommes dans une course contre la montre. A chaque instant, une personne de plus peut mourir", dit Mohammad Geha, un volontaire qui participe aux travaux. "Nous n'avons que des moyens basiques, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin".

Pas de preuve de décès 

Amnesty International a recensé des milliers d'exécutions et dénonce "une véritable politique d'extermination" à Saydnaya, un "abattoir humain".

Mohammad al-Jabi, 40 ans, cherche quatre de ses proches. "Ils ont tous été arrêtés sous l'accusation de terrorisme, dont mon neveu qui avait 14 ans à l'époque", raconte-t-il. 

"Ils les ont pris de leurs maisons et nous leur avons rendu visite une seule fois. Puis ils nous ont dit qu'ils sont morts et ont demandé qu'on vienne prendre leurs cartes d'identité", ajoute cet homme.

Mais "ils ne nous ont donné aucune preuve, et nous espérons toujours qu'ils sont vivants".

La plupart des détenus qui n'ont pas été libérés sont officiellement considérés comme disparus, leurs certificats de décès parvenant rarement à leurs familles, à moins que leurs proches ne versent des pots-de-vin exorbitants, dans le cadre d'un racket généralisé.

Khaled Attieh, 55 ans, est à la recherche de son frère détenu depuis 2012 dans cette sinistre prison. "On venait lui rendre visite, il était vivant", confie-t-il. Il l'a vu pour la dernière fois il y a six ans.