"Ils ont démoli toutes nos maisons, presque toutes les maisons des surfeurs. Ils ont dit que c'était à cause des oléoducs vandalisés, qu'il y avait trop de carburant (volé) alors ils ont démoli notre île", se remémore le garçon. 

L'armée accusait alors la communauté de participer au siphonnage des oléoducs qui longent la lagune et alimentent en essence tout l'ouest du Nigeria. Le pays de 215 millions d'habitants est le sixième producteur de pétrole au monde, mais près de la moitié de sa population vit dans l'extrême pauvreté.

Après l'évacuation, la plupart des habitants de Tarkwa se sont réinstallés sur les ruines de leur maison, toujours visibles trois ans plus tard.  

"Nous nous battons pour avoir un abri, pour manger, pour avoir une bonne vie", témoigne Michael, qui depuis ce jour, n'a cessé de "surfer dur pour oublier tout le reste".

"Le surf a donné beaucoup d'espoir à ces jeunes, dont certains sont désespérés et n'ont rien à faire de la journée", affirme Adewale Fawe, le président de la fédération nigériane de surf. 

Il en est persuadé, "le surf peut devenir quelque chose de positif dans leur vie, il éloigne les jeunes de la criminalité, de la toxicomanie". Et pourquoi pas changer l'image de la communauté auprès des autorités, et prévenir ainsi de futures expulsions.

Adewale Fawe rêve aussi de développer le surf dans d'autres localités du Nigeria, comme à Bayelsa, dans le delta du Niger, où les habitants vivent dans le plus grand dénuement et la violence, leur environnement étant l'un des plus pollués au monde après des décennies d'exploitation pétrolière.

Surtout, il caresse l'espoir d'envoyer un jour l'un de ses "champions" aux Jeux olympiques. 

Mais pour développer la discipline, les défis sont immenses, concède-t-il. Notamment à cause du manque de planches de surf, trop onéreuses. 

Les meilleurs surfeurs de Tarkwa se sont vu offrir des planches par des particuliers, des associations ou des grandes marques de surf. Il en manque cependant cruellement. 

Alors ici, c'est l'esprit de camaraderie qui prévaut: "Quand nous ne sommes pas dans l'eau, on prête nos planches aux plus petits pour qu'ils puissent s'exercer", dit Michael entouré d'une flopée d'enfants qui le regardent plein d'admiration. A leurs yeux, Michael est déjà un champion.  

A Tarkwa Bay, petit village de pêcheurs collé au titanesque port de la capitale économique du Nigeria, le surf est devenu ces dernières années une échappatoire pour sa jeunesse.

Au milieu des rouleaux, la bande de surfeurs multiplient les figures sous les hourras de leurs copains, à l'occasion de la deuxième compétition nationale de surf organisée dans ce pays ouest-africain où le sport de glisse est encore à ses balbutiements.

On est loin des grands spots de surf africain, comme au Sénégal, en Afrique du Sud ou au Maroc, mais qu'importe, Michael, 20 ans, est bien décidé à devenir un "champion" pour représenter non seulement le Nigeria, mais "le surf africain tout entier", dit-il les yeux pétillants d'espoir. 

"Peut-être pas aujourd'hui, ni demain, mais un jour je deviendrai un champion", lance-t-il depuis le rivage, où des enfants de six ans à peine, debout sur des bouts de planche, s'exercent déjà sur l'écume qui balaie la plage.

Cela fait sept ans que Michael, lui, s'entraîne chaque jour pour réaliser son rêve, comme des dizaines d'autres adolescents et adolescentes de cette communauté, sans école et centre de santé, qui survit essentiellement grâce au tourisme.

Car leur village et leur plage, accessibles uniquement par bateau, est l'un des rares lieux de loisir de la mégalopole bondée de 20 millions d'habitants qui manque cruellement d'espaces. Alors riches Nigérians et étrangers s'y pressent chaque week-end pour décompresser. 

C'est d'ailleurs par leur biais, que les premières planches de surf ont fait leur apparition sur le rivage il y a plus de quinze ans... Avant de conquérir le coeur des jeunes de Tarkwa. 

"J'aime surfer, car dès que je suis sur une vague, je me sens bien et j'oublie tous mes problèmes", confie entre deux vagues Michael. 

C'est le surf, il y a trois ans, dit-il, qui lui a permis de se relever du traumatisme de leur expulsion forcée et de la démolition de leur maison par les militaires nigérians. 

Bulldozers et démolitions 

Un matin de janvier 2020, les soldats de la marine étaient arrivés avec des bulldozers et avaient donné une heure aux milliers d'habitants de Tarkwa Bay pour empaqueter leurs affaires et quitter les lieux.