Depuis le petit matin, le coup d'Etat dénoncé à l'international s'est déroulé en plusieurs étapes. Le Premier ministre Abdallah Hamdok, son épouse, nombre de ses ministres et tous les membres civils du Conseil de souveraineté -- plus haute autorité de la transition -- ont été arrêtés par des militaires.

Dans ce pays pauvre d'Afrique de l'Est quasiment toujours sous la férule des militaires et des islamistes depuis son indépendance il y a 65 ans, la transition battait de l'aile depuis longtemps.

En avril 2019, l'armée a poussé au départ l'autocrate Omar el-Béchir au pouvoir pendant 30 ans, sous la pression d'une mobilisation de masse. Depuis août de la même année, le Conseil de souveraineté composé équitablement de civils et de militaires menait le pays, promettant les premières élections libres fin 2023.

Lundi matin, la télévision d'Etat a été prise par les militaires et à la mi-journée le général Abdel Fattah al-Burhane y est apparu. Ne cessant de répéter qu'il souhaitait toujours "une transition vers un Etat civil et des élections libres en 2023", il a malgré tout relevé tous les dirigeants de leurs fonctions.

Le gouvernement est dissout, de même que le Conseil de souveraineté, a-t-il dit, les préfets et ministres sont limogés, et l'état d'urgence est déclaré dans tout le pays, a-t-il ajouté.

Avant même qu'il ne s'exprime, des milliers de Soudanais étaient dans les rues, conspuant les militaires. Devant le QG de l'armée dans le centre de Khartoum, bouclé par soldats et blocs de béton depuis des jours, 12 manifestants ont été blessés par des tirs des forces armées, ont assuré un syndicat des médecin et le ministère de l'Information. 

- "Désobéissance civile" -

Rapidement après les annonces du chef de l'armée, les différents syndicats, groupes militants de la révolte de 2019 et autres mouvements pro-démocratie annonçaient un à un rejoindre "désobéissance civile" et "grève générale", faisant écho à l'appel du bureau de M. Hamdok à "manifester" contre le "coup d'Etat".

Craignant pour la vie du dirigeant retenu "dans un lieu non identifié", son bureau a averti que les autorités militaires portaient "l'entière responsabilité de sa vie" ou sa mort, dans un pays déjà secoué par un coup d'Etat manqué il y a un mois.

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres a condamné le "coup d'Etat militaire", exhortant à la "libération immédiate du Premier ministre Hamdok et de tous les autres dirigeants" arrêtés ainsi qu'au respect de la "charte constitutionnelle".

Ce texte signé par tous les acteurs anti-Béchir en 2019 prévoit des élections fin 2023 et une transition civile, à laquelle le général Burhane a dit être toujours engagé une fois un nouveau gouvernement et un nouveau Conseil de souveraineté nommés.

Les Etats-Unis, dont l'émissaire Jeffrey Feltman était la veille encore dans le bureau du Premier ministre, ont déjà prévenu que "tout changement du gouvernement de transition mettait en danger l'aide américaine".

L'Union européenne a elle appelé la communauté internationale "à remettre la transition soudanaise sur les rails" et enjoint au "rétablissement des télécommunications" largement coupées dans le pays lundi.

Face à ces critiques qui s'accumulent à l'étranger, le général, Burhane a donné un gage de poids: il s'est dit engagé à respecter les accords internationaux signés par le Soudan, l'un des quatre Etats arabes à avoir récemment décidé de reconnaître Israël.

- "Révolution" -

Dans les rues de Khartoum, de nombreux Soudanais fustigent depuis tôt le matin le général Burhane, ont constaté des correspondants de l'AFP.

"Nous refusons le régime militaire et sommes prêts à sacrifier nos vies pour la transition démocratique", a juré Haitham Mohamed, l'un d'eux, à l'AFP.

"Nous ne quitterons pas les rues avant le retour du gouvernement civil", a affirmé Sawsan Bachir, sous la nuée de drapeaux soudanais.

La tension était montée dernièrement entre les deux camps. Le 16 octobre, des pro-armée ont planté leurs tentes devant le palais présidentiel où siègent les autorités de transition.

En réponse, le 21 octobre, des pro-civils sont joyeusement descendus par dizaines de milliers dans les rues du pays pour, disaient-ils, "sauver" leur "révolution".