Face au nombre record de traversées clandestines, le Royaume-Uni a contacté fin 2022 le pays des Balkans, au cœur du transit de ces fragiles embarcations.

Il a d'abord fallu prouver que les bateaux passant par la Bulgarie finissaient bien leur course sur les côtes anglaises, explique l'énergique responsable Georgi Gospodinov, uniforme bleu foncé sur le dos, tout en faisant visiter le poste-frontière de Kapitan Andreevo, l'un des plus fréquentés au monde.

"Nous avons laissé sur la coque de discrets indices afin de permettre à nos partenaires britanniques d'identifier les épaves abandonnées sur leurs rivages", dit-il à l'AFP.

Une fois le lien établi, il a été possible de restreindre les importations dans l'UE de ce type d'embarcations, tout comme des moteurs et gilets de sauvetage.

Odeur de caoutchouc 

Inspections poussées, portique à rayons X, chiens renifleurs: chaque jour, des centaines de camions sont passés au peigne fin dans cette immense zone fourmillant de contrôles.

La forme des moteurs est facile à détecter, soulignent les agents frontaliers, qui reconnaissent aussi de mieux en mieux les sacs contenant les canots soigneusement pliés. Pour les aider, le flair d'un canidé fourni par les autorités britanniques et dressé à reconnaître l'odeur de caoutchouc.

Au total, Londres a versé 1,2 million de livres sterling (1,4 million d'euros) pour la formation des effectifs et l'apport d'équipements, dont des drones de surveillance.

Depuis le début de cette coopération, 52 moteurs, 49 canots, 755 pompes de gonflage et 110 gilets ont été saisis, la plupart du temps à bord de véhicules turcs voyageant vers l'ouest de l'Europe.

Le chef de la diplomatie britannique David Cameron est venu en février à la rencontre de ces douaniers, dans le cadre d'une offensive tous azimuts pour "stopper" ce trafic et "ce terrible commerce qui coûte la vie à de nombreuses personnes". 

Un partenariat similaire a été lancé le mois dernier avec la France.

"Politiquement, c'est un gros problème", commente pour l'AFP Nando Sigona, spécialiste des migrations internationales à l'université de Birmingham.

"Le Brexit était assorti de la promesse d'une reprise en main des frontières, or on assiste à l'échec à endiguer les arrivées", note-t-il. Une situation qui fragilise les conservateurs à quelques mois d'élections législatives qui pourraient donner lieu à une victoire écrasante des travaillistes.

Des passeurs qui s'adaptent 

Au premier trimestre 2024, 5.373 personnes ont effectué illégalement la dangereuse traversée de la Manche, contre 3.793 un an plus tôt (+42%), un niveau record, selon un décompte de l'AFP réalisé à partir des données officielles.

Au moins sept migrants, dont une fillette de sept ans et un adolescent de 14 ans, sont morts en mer et sur un canal en tentant de rejoindre l'Angleterre.

De 300 il y a cinq ans, le nombre de traversées est passé à près de 30.000 l'an dernier, avec toujours plus de passagers par embarcation.

Par nationalité, les Afghans étaient les plus nombreux en 2023, devant les Iraniens, Turcs, Érythréens, Irakiens ou encore Syriens.

La coopération nouée par Londres avec plusieurs pays européens, notamment avec l'Albanie dont le nombre de ressortissants a chuté, "a produit des effets", estime l'expert britannique, sans se faire toutefois d'illusions.

Car "les réseaux de passeurs s'adaptent sans cesse et trouvent de nouvelles sources d'approvisionnement pour les bateaux".

"On ne règle pas un problème en s'attaquant aux conséquences", confirme Nikolaï Posner, porte-parole de l'association française d'aide aux migrants Utopia 56, rappelant que ces embarcations sont apparues en 2018 pour contourner le renforcement des contrôles routiers.

"Plus les entraves augmentent, plus la présence policière s'intensifie et plus les passeurs prennent des risques", prévient-il.