Pendant de longues heures, le centre de Buenos Aires a été paralysé, plusieurs avenues menant à l'emblématique Place de Mai regorgeant de marées humaines, dans l'un des rassemblements les plus suivis des dernières années, en ce "Jour de la mémoire", ont constaté des journalistes de l'AFP.

Ce 24 mars commémore le coup d'Etat de 1976 portant au pouvoir la junte militaire, qui allait faire 30.000 morts et disparus, selon un bilan des organisations de droits humains. 

Un bilan désormais de plus en plus ouvertement contesté par l'exécutif du président Javier Milei (lui parle de moins de 9.000), et sa vice-présidente Victoria Villaruel, proche des milieux militaires (fille et nièce d'officiers, dont un fut inquiété pour son rôle sous la dictature).

La vérité "complète" 

Contesté, au nom d'une "vérité complète", d'une "mémoire et justice pour tous", référence aux victimes des guérillas d'extrême gauche des années 70. Une "guerre", donc, (entre Etat et guérillas) avec ses "excès", davantage qu'une dictature, selon cette lecture du pouvoir.

"Vraiment 30.000 !", "Tout est stocké dans la mémoire !" "Oui à la mémoire, non à la peur !", "Oui aux droits, non à la droite", exprimaient dimanche des banderoles et pancartes, aux côtés des portraits de disparus brandis à bout de bras. 

D'autres marches étaient prévues dans des villes de province.

Pour marquer ce "Jour de la mémoire", le gouvernement a diffusé une vidéo de douze minutes, dans laquelle il expose "sa version" du bilan de la dictature, fait parler des victimes des ex-guérilla, et une nouvelle fois conteste le bilan des 30.000 victimes. 

Il cite notamment en ce sens un ex-guérillero, qui affirme qu'il créa lui-même le chiffre de 30.000.

"Nous refusons le négationnisme du gouvernement, et l'apologisme du terrorisme d'Etat. Ils étaient bien 30.000 !" a répliqué dimanche le militant des droits humains et Prix Nobel de la Paix 1980, Adolfo Perez Esquivel (92 ans) à la foule réunie Place de Mai.

"Aujourd'hui plus que jamais, il faut défendre la mémoire et descendre dans la rue dans le contexte de violence qu'exerce ce gouvernement", a dit à l'AFP Maria Gianni, manifestante de 31 ans. "Il faut accompagner ces Mères et Grands-Mères (de disparus) qui luttèrent en leur temps".

Ces Mères, et les survivantes des Grands-Mères, sont chaque année les vedettes du 24 mars, à l'instar d'Estela de Carlotto (93 ans), fondatrice des Grands-Mères, mère d'une disparue, et qui en 2014 retrouva son petit-fils, l'un des "bébés volés" sous la dictature.

Réclamer les disparus, encore 

"Nous ne sommes ennemis de personne", a-t-elle assuré dimanche. "Mais face à un gouvernement qui nous offense (...), le peuple est plus clair que jamais", a-t-elle ajouté.

Avant de lancer à la foule, à quelques mètres de la Casa Rosada (présidence): "Nous continuons a réclamer, à demander où sont les corps de nos disparus".

Depuis la reprise en 2006 des procès pour crimes sous la dictature --après une parenthèse d'amnistie dans les années 1990-- 1.176 personnes ont été condamnées, 661 sont actuellement en détention, et 79 procédures restent en cours, selon des données de la justice.

Aux marches du 24 mars, occasion traditionnellement familiale, festive, et plutôt apolitique -bien très suivie à gauche- s'étaient associées pour la première fois cette année de grandes centrales syndicales, dans un contexte de choc d'austérité depuis trois mois par le gouvernement ultralibéral de Milei, pour lutter contre l'inflation chronique (211% en 2023).

D'où une tonalité résolument plus politique dimanche, et une floraison de slogans et mots d'ordre reflétant une conflictualité sociale qui menace, sur fond de pouvoir d'achat étranglé (-18% en deux mois) et de pauvreté avoisinant 50% de la population.