"Le problème de Sciences Po, c'est qu'on va de crise en crise", résume auprès de l'AFP l'un de ses enseignants qui a souhaité garder l'anonymat.
La situation du prestigieux établissement s'est invitée en conseil des ministres mercredi, où le président de la République, Emmanuel Macron, a dénoncé des propos "inqualifiables et parfaitement intolérables" rapportés lors d'une mobilisation pro-palestinienne la veille à Sciences Po Paris.
L'Union des étudiants juifs de France a, en effet, affirmé que des jeunes appartenant à l'association y ont été "pris à partie comme juifs et sionistes".
Le Premier ministre Gabriel Attal et la ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau "se sont rendus au conseil d'administration" de la Fondation de Sciences Po "pour souligner la gravité des faits et la nécessité absolue que l'Université demeure un lieu d'enseignement" et de "débats sains et respectueux des valeurs de la République", a indiqué la direction de l'école dans un communiqué dans la soirée.
Elle a saisi "le procureur de la République pour des faits à caractère antisémite, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale". L'établissement, "traversé par le conflit au Proche-Orient et ses conséquences désastreuses sur les populations civiles, constate et regrette un durcissement des relations entre ses communautés étudiantes et l'instauration d'un climat délétère inacceptable", écrit encore Sciences Po Paris.
"Ce qui s'est passé hier est intolérable, des lignes rouges ont clairement été franchies", a estimé de son côté la ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau sur BFMTV, dans la soirée.
Cette version des faits est vivement contestée par le comité Palestine de Sciences Po, qui dénonce des "accusations infondées d'antisémitisme de la part de l'extrême droite".
Comparution à l'automne
Comme souvent avec Sciences Po Paris, la controverse étudiante a débordé dans la sphère politico-médiatique.
Sylvain Maillard, chef des députés Renaissance, a appelé "la ministre (de l'Enseignement supérieur) à reprendre les choses en main", dans la matinée sur Radio J, tandis que Sébastien Chenu, vice-président du RN, demande à la direction de "plier bagage", sur CNews/Europe1.
Le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon évoque lui un "incident dérisoire", s'étonnant que l'affaire prenne une telle "ampleur médiatique nationale".
Toujours mercredi matin, le directeur, Mathias Vicherat, renvoyé devant la justice avec son ex-compagne dans un dossier de violences conjugales, annonce sa démission dans un message à la communauté éducative.
"Des convocations devant le tribunal correctionnel ont été délivrées à M. Vicherat et Mme Sansal-Bonnefont pour des violences réciproques au sein du couple", a confirmé le parquet de Paris à l'AFP.
Les ex-concubins se voient reprocher notamment "des violences sur conjoint ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours", a précisé le ministère public.
Ils comparaîtront à l'automne, d'après une source proche du dossier.
Mathias Vicherat, 45 ans, et son ex-compagne Anissa Bonnefont s'accusaient réciproquement de violences conjugales et avaient été placés en garde à vue le 3 décembre avant d'être remis en liberté le lendemain. Le parquet de Paris avait ordonné une enquête préliminaire.
Les deux ex-concubins n'avaient pas porté plainte. Le parquet de Paris a rappelé "que la charge d'engager des poursuites incombe au seul ministère public".
Déboires et scandales
Dans son message de mercredi, M. Vicherat conteste "toujours les accusations de violences qui ont été formulées et diffusées à (son) égard".
En décembre, à la suite de ces accusations, Mathias Vicherat avait proposé son retrait de la direction, avant de revenir fin janvier, sous les huées d'étudiants.
En attendant la nomination d'une nouvelle équipe dirigeante, "une administration provisoire" va être mise en place "dans les prochains jours", a indiqué la direction de Sciences Po Paris.
"En lien constant avec ses acteurs, le ministère va continuer à accompagner l'établissement afin de permettre son bon fonctionnement, en veillant en particulier à la sérénité de ses débats et à la lutte contre l'antisémitisme et toute forme de discrimination", a indiqué la ministre Sylvie Retailleau dans une déclaration transmise à la presse.
Sciences Po Paris cumule déboires et scandales autour de ses dirigeants depuis une dizaine d'années sans que son prestige académique n'en soit pour l'heure entaché.
M. Vicherat avait succédé en novembre 2021 à la tête de l'école à Frédéric Mion, contraint de démissionner en février de cette année-là pour avoir dissimulé les soupçons d'inceste visant le politologue Olivier Duhamel, qui était alors le président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).
Frédéric Mion avait lui-même succédé à Richard Descoings, patron de Sciences Po de 1996 à 2012, mort accidentellement dans une chambre d'hôtel à New York.